Marama Vahirua:
"Je suis prêt à me battre pour ce maillot rouge et noir"
Extrait
En grand fan de Pascal Vahirua, la tentation est trop forte de commencer l'interview en parlant de lui. Marchant sur les pas de ton cousin, tu es tout de même parvenu à te faire un prénom assez rapidement dans le football français. En quoi l'ancien ailier auxerrois a-t-il influencé ta carrière ?
Pascal a tout simplement
été ma première idole, comme beaucoup de jeunes Tahitiens d'ailleurs. Gamins,
tous les dimanches matin nous étions scotchés devant Téléfoot en espérant voir
des images de ses buts ou de ses magnifiques centres. Dans les années 90, il a
tout de même été l'un des plus grands ailiers de la planète foot ! Après, quand
j'ai commencé dans le foot pro, je n'ai pas trop calculé. C'était un honneur
pour moi de marcher sur ses pas, mais je ne voulais pas focaliser, je voulais me
faire un prénom et comme vous le dites, je pense y être parvenu.
Que devient-il ? Vous
vous voyez souvent ?
A la fin de sa carrière, il est revenu sur Auxerre où il s'est occupé d'un club amateur. Je sais aussi que Guy Roux lui a demandé de reprendre du service pour encadrer les jeunes de l'équipe 4 d'Auxerre ! À quarante ans, il parait qu'il a encore un sacré coup de reins ! Par contre, on ne se voit malheureusement pas assez souvent. C'est difficile, nous sommes deux grands timides. Chacun a le numéro de l'autre, mais personne ne fait le premier pas. Mais ça n'empêche pas que nous nous apprécions beaucoup.
Faisons un bref retour sur ta carrière. De quoi es-tu le plus fier ?
Tout simplement d'être
devenu professionnel ! Enfant, j'en rêvais, mais cela me dépassait complètement.
C'était paradoxal, j'avais l'exemple de Pascal pour m'encourager, mais je me
demandais aussi qui serait assez fou pour venir me chercher sur mon île. Vous
savez, quand on est tahitien, on a du mal à imaginer un tel destin.
Heureusement, mon père a toujours cru en moi, il n'a cessé de me pousser et de
m'encourager.
Au regard de ton
parcours, on constate qu'il n'a vraiment pas eu tort...
Je suis encore loin de la
fin, mais c'est vrai, j'ai fait un bon petit bout de chemin... Si j'arrive à
nourrir ma famille correctement aujourd'hui, il est clair que je lui dois
beaucoup ainsi que toute mes proches qui ont toujours cru en moi.
C'est aussi un
message fort pour les jeunes Tahitiens bercés par les mêmes rêves que toi...
Comme a pu le faire Pascal en son temps, j'essaie de leur montrer qu'il n'est pas impossible de réussir. Mais partir reste le plus difficile. Quitter Tahiti pour la France, c'est énorme, il y a tellement de décalage culturel ! On perd tous ses repères, on se sent seul loin des siens. C'est un cap important à passer. Je l'ai plus ou moins bien vécu selon les périodes, mais c'est aussi une fierté d'avoir su résister à la tentation de rentrer. Il faut qu'ils comprennent que pour nous, être bon balle au pied ne suffit pas. C'est dans la tête que tout se joue.
A propos de décalage culturel, quand on a grandi à Tahiti, quel regard pose-t-on sur les récents événements qui ont marqué les banlieues françaises ?
C'est difficile à
comprendre... Ne pensez pas qu'à Tahiti on ne connaît aucun problème non plus,
mais nous sommes un peuple éminemment pacifiste... Je ne pense pas que ce genre
de choses pourrait arriver chez nous. Et puis les médias font l'événement. J'ai
l'impression que c'est « donnant/donnant ». Les médias gagnent de l'argent sur
le dos des émeutiers, et les émeutiers se servent des médias pour mettre la
pression. La télé exacerbe tout, je pense qu'elle a eu un rôle prépondérant dans
ces événements. D'ailleurs c'est comme ça pour tout. Là, elle surfe sur la vague
de la pauvreté, du chômage et du racisme, ça fait vendre...
Les Tahitiens vivant
en France sont-ils touchés par le racisme ?
Je ne dis pas que l'on ne
m'a jamais regardé de travers, mais je pense que nous sommes moins victimes du
racisme que les Africains ou les Asiatiques. Peut-être parce que nous sommes
moins foncés (rire)... Plus sérieusement, je pense que l'image positive de
Tahiti nous sert. On voit notre île comme un petit paradis terrestre, du coup
les Tahitiens sont mieux considérés que les autres minorités ethniques. Ce qui
m'a plus embêté par contre, surtout lors de mon arrivée à Nantes, c'est que les
gens croient encore que nous sommes des indigènes. On m'a déjà demandé si chez
moi je portais des chaussures, comment on fait pour vivre sans électricité ou se
déplacer sans voiture ! Mais les colliers de fleurs, les vahinés et tout ça,
c'est notre culture, pas notre mode de vie !
En surfant sur le
site Internet qui t'est dédié, on voit à quel point tu es attaché à ton île et à
son pacifisme exacerbé. On voit aussi que tu prends clairement position contre
George Bush. Cet engagement est plutôt rare chez les sportifs...
Mais je me sens citoyen avant d'être sportif ! Et quand je me dis citoyen, je me sens tahitien, français, mais surtout citoyen du monde ! Je ne vais pas vous refaire l'histoire... Cet homme-là ment au monde entier et aux Américains en premier. Il veut le pétrole, pas la paix dans le monde, c'est clair. Je reste très simpliste, mais je pense à tous ces innocents qui paient ses agissements déplorables. D'une manière générale, c'est toujours comme ça. Ceux qui dirigent ne sont jamais touchés, ne paient jamais leurs erreurs monumentales, c'est révoltant !
Revenons au football. Lors de ton arrivée à Nice, beaucoup d'observateurs ont été surpris. Marama « l'artiste » chez les guerriers du Gym, c'était un peu bizarre non ?
Pour certains ça a pu
l'être, mais ce qui m'a amené à Nice c'est le désir et la possibilité de jouer
plus régulièrement qu'à Nantes où j'étais condamné au banc. Après, je savais où
je mettais les pieds, je savais qu'il faudrait m'adapter à de nouvelles valeurs,
mais cela ne m'a pas gêné. De toute façon, je n'allais pas me transformer en
tacleur fou ! J'ai mes atouts, mes qualités; et l'aggresivité n'e fait pas
partie. Du moins, je dirais que j'ai ma propre définition de celle-ci. Je sais
me battre sur le terrain, mais me jeter dans les pieds de l'adversaire
pour lui faire mal, je n'y arriverai jamais.
En terme comptable,
ta première saison niçoise est la meilleure de ta carrière avec dix buts à ton
actif. Pourtant, on a l'impression que tu marquais plus durant ta période
nantaise...
Je comprends ce que vous voulez dire. En fait, je pense que c'est dû au fait qu'à Nantes, je marquais souvent après être entré en cours de match. Quand on joue vingt minutes et qu'on plante un ou deux buts, ça marque toujours les esprits. Pourtant, sur le plan de la régularité et des performances, ma première saison niçoise reste la plus complète de ma carrière. J'ai eu un passage à vide en même temps que l'équipe après la trêve, mais globalement je suis satisfait même si, dans mes autocritiques, je suis toujours très sévère avec moi-même.
Du coup comment vis-tu la concurrence mise en place par Frédéric Antonetti depuis sa prise de fonction ?
Je suis bien évidemment
déçu de ne jouer que la moitié des matchs. Je ne suis titulaire qu'à domicile,
j'ai l'impression que je ne peux pas jouer ailleurs qu'au Ray. Mais bon, ce
n'est pas mon genre de lâcher comme ça, même s'il y a des moments difficiles.
J'en ai parlé avec le coach, il a su trouver les bons mots et nous connaissons
nos positions respectives. Pour ma part, je continue de me battre pour lui
montrer qu'il peut me faire confiance. J'ai la chance d'avoir déjà connu ce
genre de situation. Bon, j'étais venu à Nice pour éviter ce cas de figure, l'an
dernier j'ai joué 34 matchs, cette année j'en joue moins, c'est dur à accepter,
mais je ne vais pas me plaindre. Il y a pire... Par contre, je bosse dur et il
est certain que si rien ne vient en retour avant la fin de saison, je me poserai
des questions.
N'est-ce pas un
certain manque d'agressivité qui t'empêche d'être aligné d'entrée à l'extérieur
?
J'espère que non. J'ai quand même des arguments à faire valoir pour compenser. Et puis je ne suis pas fleur bleue non plus, s'il faut se replacer défensivement je le fais, mais, sur un match, je ne peux pas être 50% offensif et 50% défensif. J'en ai conscience. Si le coach m'a dit de muscler mon jeu, il ne m'a jamais parlé de manque d'agressivité ou de quelque chose dans ce genre... Frédéric Antonetti sait que je suis prêt à me battre pour l'équipe et ce maillot rouge et noir.
En tout cas, tu lui as montré qu'il pouvait compter sur toi dans les moments délicats en inscrivant un but décisif lors du match contre Auxerre...
II est vraiment tombé à
pic celui-là ! Ça faisait un mois que je n'avais presque pas joué, je n'étais
pas dans le rythme, le coach le voyait et ne me lâchait pas, j'étais dans le
trou et il y a eu ce coup franc qui a tout changé. Ça m'a remis dedans et en
plus nous avons réussi à gagner ce match piège.
Marquer dans un stade vide ça doit faire bizarre non ?
C'est jouer dans un stade
vide qui fait drôle ! J'en garde vraiment un mauvais souvenir et j'espère
vraiment que cela ne se reproduira pas ! En plus, vous savez combien l'aide des
supporters nous est primordiale. En ce qui concerne le but, il y avait une
grande joie intérieure qui m'a presque fait oublier que le stade était vide.
On imagine que si tu
parviens à marquer contre Lyon, ce sera tout autre chose. Comment abordes-tu ce
match ?
Avec la conviction qu'il
y a tout à gagner et que c'est un match qui peut nous apporter un maximum de
confiance. Si nous perdons, tout le monde trouvera ça normal au regard du
parcours des Lyonnais depuis le début du championnat. Si nous gagnons, nous
tiendrons ce fameux gros résultat qui nous fait toujours défaut à domicile, ce
match référence apte à relancer notre saison.
Sincèrement, Nice
est-il capable de battre Lyon ?
Oui, Nice peut y arriver.
Mais comment ?
Si quelqu'un avait la
solution idéale, Lyon ne serait pas en tête avec douze points d'avance ! Pour
avoir une chance il faut déjà être très solidaire, mais aussi très concentré.
Car avec Lyon, rien n'est jamais fini, ils reviennent tout le temps dans le coup
et l'ont prouvé à maintes reprises, comme à Nantes en coupe de la Ligue ou
dernièrement face à Troyes. Je pense que d'entrée, il faudra les presser au
maximum, ne pas les laisser respirer et surtout éviter les coups francs à moins
de 35 mètres (rire)
Ce serait en tout cas
le genre de performance qui pourrait donner une tout autre allure à votre
première moitié de saison, qui n'est pas à la hauteur des espérances pour
l'instant. Parlez-vous de cette entame chaotique entre joueurs ?
Nous discutons beaucoup entre nous, c'est le meilleur moyen de mettre les problèmes à plat et de progresser. Nous sommes conscients que notre bilan est moyen pour l'instant. Nous savons bien que nous aurions pu mieux faire. Nous ne pouvons pas faire autrement, c'est la réalité et il faut savoir garder les pieds sur terre. Mais bon, il ne faut pas non plus rester bloqué sur le passé et s'appuyer sur nos points forts pour aller de l'avant. Nous voyageons plutôt bien cette saison à l'extérieur, seul Lyon a fait mieux que nous hors de ses bases, c'est sur ces aspects positifs qu'il faut s'appuyer pour garder confiance.
Le plus paradoxal, n'est-ce pas de mieux jouer, mais de prendre plus de buts et d'en marquer moins que la saison dernière ?
C'est la grande contradiction du moment... Mais il ne faut pas oublier que le club a connu de grosses évolutions durant l'intersaison. Un nouveau coach et de nouveaux joueurs sont arrivés, il faut leur laisser du temps. Nous travaillons beaucoup, il n'y a aucune raison que cela ne paie pas ! Notre ambition en championnat était de se positionner dans le premier tiers du classement, cela va être compliqué, mais nous avons largement les moyens d'assurer un maintien beaucoup plus serein que la saison dernière, et pourquoi pas de jouer le coup à fond en coupe. Nous avons la chance de recevoir une nouvelle fois en coupe de la Ligue, nous allons bientôt faire notre entrée en coupe de France, il y a moyen de réaliser quelque chose de bien et pourquoi pas de marquer l'histoire du club. En tout cas, moi j'y crois !
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