L'interview fleuve de Laslandes

 

Extrait

 

 

 

En provenance de Saint-Seurin (D2), tu as découvert le haut niveau à 21 ans avec Auxerre. Que t'a apporté Guy Roux dans ta progression ?

 

C'est lui qui m'a lancé en pro... En arrivant à Auxerre, j'ai découvert le professionnalisme avec ce que cela impliquait de travail au quotidien. Durant cinq ans, j'ai répété des gestes, des phases de jeu. Je garde de très bons souvenirs de cette période et notamment de Guy Roux, qui m'a mis le pied à l'étrier. Beaucoup de choses sont dites sur lui, mais il faut le vivre au quotidien pour le comprendre, pour savoir ce qui se passe réellement à l'AJA. Pour des jeunes, c'est quelqu'un d'exceptionnel, même s'il arrive aussi que certains craquent au cours de la formation en arrivant trop jeunes au centre. Moi, j'ai eu la chance jusqu'à 18 ans de profiter de la vie avec mes amis, de ne me priver de rien. Ma première année, comme j'avais un statut de stagiaire, Guy Roux me proposait chaque week­end d'aller renforcer les équipes de DH ou de D4 quand je ne jouais pas avec les pros. Cela m'a permis de marquer 75 buts en une saison tous niveaux confondus ! Et je pense que la disponibilité dont j'ai fait preuve à cette époque a joué en ma faveur auprès de Guy Roux par la suite.

 

Au fil de ta carrière, tu as côtoyé ce qui se faisait de mieux comme attaquants en France (Cocard, Vahirua, Wiltord, Papin, ...). Lequel t'a le plus marqué ?

Quand j'ai débuté, j'étais impressionné par Cocard et Vahirua. Dans notre système, ils étaient utilisés de façon stéréotypée puisque leur rôle se cantonnait à devoir déborder et centrer, mais c'était des machines. Ils passaient quasiment à chaque fois. Ensuite, au niveau de la complémentarité, du plaisir et des résultats, je citerai sans hésiter Sylvain Wiltord. On a vécu de grands moments à Bordeaux, notamment l'année du titre. Enfin, Jean-Pierre Papin... On a joué seulement six mois ensemble, mais je pense avoir pas mal appris à ses côtés aux entraînements. Même s'il « déconne » tout le temps, ses conseils m'ont beaucoup apporté. Et puis, juste le fait de l'observer m'aidait à progresser. En match, tous les adversaires focalisaient sur lui, ce qui me permettait d'avoir plus de liberté. Si on ajoute à cette liste Pauleta, on peut dire que j'ai eu la chance de côtoyer des grands attaquants aux styles très différents. 

En évoluant la majeure partie de ta carrière à Auxerre et Bordeaux, tu as été habitué au football d'attaque. Comment vis-tu le système niçois ?

Bien, dans la mesure où dans toutes ces équipes, j'ai toujours travaillé pour les autres. Mon rôle aujourd'hui n'est pas très différent. J'ai un esprit collectif, donc cela ne me gêne pas. Et puis, je ne pense pas qu'il nous manque grand-chose pour franchir un palier au niveau du jeu. On a pu le voir face à Lens. Quand on ose et qu'on se lâche, on peut... Après, il y a le contre­exemple du match face à Marseille où l'on n'a pas mis la pression qui aurait amené le public à se (et à nous) transcender. Il ne faut pas inverser les rôles, c'est à nous d'amener les supporters à s'enflammer, et pas l'inverse. 

Ton association avec Meslin est un peu particulière tactiquement puisque que contrairement à la logique qui voudrait que tu évolues en attaquant de fixation, c'est toi qui tournes autour de Christophe. Peux-tu nous expliquer exactement le rôle qui t'est demandé par Gernot Rohr ?

Les rôles se sont répartis en fonction de nos qualités. Comme j'ai plus  d'aptitudes à revenir que lui et que Poussin va plus vite que moi, les choses se sont dessinées naturellement. En plus, il est bon dans la finition et aime bien traîner à la limite du hors-jeu. On se sent de mieux en mieux dans le jeu et à force d'enchaîner les matches ensemble, les automatismes viennent rapidement. Il sait par exemple que j'aime jouer en une touche et il adapte donc ses appels. C'est ce que nous demande le coach, même s'il nous laisse aussi la liberté de nous adapter aux circonstances du match.

Que cela fait-il pour un attaquant d'être souvent présenté comme le premier défenseur de l'équipe ?

Pas grand-chose, à partir du moment où cela fait partie de mon état d'esprit. Je réfléchis en terme de collectif avant tout. Sortir d'un match comme celui face à Marseille est frustrant, mais on se dit qu'il faut remettre le couvert à la prochaine sortie. Cela m'est arrivé de passer plusieurs rencontres sans
marquer ou me créer d'occasions, mais je sais qu'un jour je vais donner la victoire, et là tout est oublié...

À l'image de l'implication de Léonard dans la venue de Simone, tu es intervenu pour faciliter l'approche avec Laurent Batlles lors du mercato. Une telle implication de la part des joueurs est assez rare dans le football moderne...

En fait, comme je l'avais côtoyé à Bordeaux et Bastia, les dirigeants m'ont naturellement demandé ce que je pensais du joueur et de l'homme. Je les ai donc renseignés en leur disant que c'était quelqu'un de charmant dans la vie et qu'il possédait la rage de vaincre qui correspondait à notre groupe. Après, ses
qualités de footballeur, ils les connaissaient. Et sans dénigrer personne au sein de notre effectif, je pense qu'il aurait pu nous apporter une touche en plus.


Quels ont été tes arguments pour convaincre l'ancien Bastiais de te rejoindre sur la Côte d'Azur ?


Je lui ai parlé de l'ambiance dans le groupe et au stade. Je lui ai dit que la ville était sympa et cela collait bien puisqu'il voulait rester au soleil. Je lui également fait part des limites du budget du club, mais il m'a confié qu'il était prêt à tout. Ensuite, je ne suis plus intervenu et les dirigeants ont pris le relais.


Peut-on dire que toute personne qui revêt les couleurs rouge et noire se sent investi d'une mission pour aider le club...

Quand je suis arrivé, c'est un sentiment que j'ai tout de suite ressenti. Le club se restructure depuis le bas, et le groupe est à cette image. Chacun essaye donc d'apporter sa pierre à l'édifice. On mouille le maillot et les gens le sentent. De notre côté, on perçoit que toute la ville est mobilisée, et le soutien de tout le stade lors des matches est important. Ce qui se passe au Ray est rare, habituellement il n'y a qu'un kop qui soutient l'équipe ; à Nice, c'est tout un stade.

L'OGC Nice dans son ensemble respire la bonne humeur et la joie de vivre. A quoi attribues-tu cette ambiance ?

Je pense que ce que vous avez vécu lors de la montée y est pour beaucoup. Depuis, j'ai la sensation que cette ambiance est cultivée à tous les niveaux. On le ressent au sein du club, mais aussi avec tout ce qui gravite autour : supporters, médias, ... . Dans le groupe, il y a une osmose entre les anciens et les autres. Une forme de respect qui est devenue très rare dans le football actuel. De nos jours, les jeunes veulent tout casser et partir à l'étranger. Ici, c'est différent. Tout le monde est à l'écoute. Le coach essaye de faire profiter de son vécu de joueur. Je me souviens d'ailleurs que dans ses grandes heures à Bordeaux, j'allais au Parc Lescure. L'ambiance est primordiale parce qu'elle est le ciment d'un groupe. Il ne faut pas se tromper, c'est en grande partie grâce à cette cohésion que nous obtenons ces résultats. On peut voir comment vit un groupe au comportement de l'équipe sur le terrain. Et si l'on parvient à cultiver cela dans le temps, de plus de plus de joueurs voudront venir voir aussi ce qui se passe ici. Vous savez, ça s'ébruite de plus en plus...

Qu'est-ce qu'il y a de différent au Gym ?

Cette solidarité entre tout le monde, des bureaux au terrain. On sent que les gens sont heureux de venir travailler. Nous, au sein du groupe, c'est la même chose. Chaque semaine, quelqu'un paye un coup pour fêter un événement (naissance,anniversaire, ...) ou on s'invite au resto, il y a vraiment une super ambiance. Et pour avoir connu la solitude à Sunderland et à Cologne, je me dis que je ne veux plus sortir de là. Quoi de plus beau que de s'épanouir humainement dans le travail.

En débarquant, t'attendais-tu à une telle effervescence autour du foot dans la ville ?

Gernot m'en avait parlé. Et puis à travers la médiatisation autour de l'OGC Nice la saison dernière, je m'étais rendu compte que le club renaissait et qu'il y avait un réel engouement populaire. Comme il n'y a pas beaucoup d'argent, c'est le plaisir qui prime et tous les gens qui sont là savent qu'ils ont pour mission de faire grandir le club.

Dans ton cas, qu'est-ce qui t'a convaincu de venir à Nice l'été dernier ?

Des garçons comme José (Cobos), que j'avais rencontré en vacances, ou Éric (Roy), ils m'ont décrit ce qu'ils vivaient et obligatoirement cela fait envie. Dans le courant de la saison dernière, je suis venu faire du shopping à Nice et j'en ai profité pour discuter avec Gernot Rohr. II m'a dit qu'il suivrait ma fin de saison. De mon côté, je lui ai dit que j'étais prêt à renoncer à de l'argent pour retrouver la joie de vivre. J'ai tout trouvé ici !

A 32 ans, comment vois-tu la suite de ta carrière ?

À la fin de cette saison, il me restera une année de contrat à Nice plus la possibilité d'une prolongation d'un an. Je me suis fixé deux ans, mais si l'envie est là je continuerai. Sinon, je laisserai la place...

Et as-tu déjà pensé à l'après ?

Non, mais je sais dans mes pensées que je me consacrerai à ma famille. Ma carrière m'a permis de mettre de l'argent de côté pour avoir la vie que je souhaiterais après le foot. Mon objectif au niveau matériel est d'avoir des pied-à-terre à Bordeaux, à Nice et à la montagne. Ensuite, je veux simplement profiter de la vie avec les gens que j'aime. Même si je n'y ai pas réfléchi, je pense que je m'impliquerai dans un club amateur vers Bordeaux. Mais une chose est sûre, je sortirai du milieu du foot professionnel.

On te voit rarement dans les médias ou sur le devant de la scène. Pour toi, garder un certain détachement du milieu du football est-il important ?

Très important ! J'ai eu une mauvaise expérience de la presse. Depuis, je préfère venir à l'entraînement, faire mon métier, puis sortir totalement de tout ça et me consacrer à ma copine. Cela date du temps où j'évoluais à Bordeaux. On n'avait jamais remis en cause mon mode de vie tant que les résultats sportifs étaient bons. Durant cette période, j'ai acheté un bar-restaurant sur Bordeaux et dès que cela a moins bien marché, les médias ont tout de suite fait le parallèle entre mon style de vie et la baisse de mes performances. Moi, je savais la vérité et je n'avais rien à me reprocher. Je menais exactement la même vie que l'année du titre par exemple. Mais un jour, ma grand-mère m'a appelé en pleurs en me demandant si c'était vrai tout ce qui était raconté sur moi dans les journaux. Cela m'a profondément touché parce que même si j'étais assez fort mentalement pour supporter le poids de ces attaques, je ne pouvais accepter que cela touche mes proches. Depuis ce jour, je donne des interviews seulement quand je sens le coup...

Justement tu sembles avoir toujours réussi à faire la part des choses entre la fête et le foot. Mais à un moment de ta carrière, ce côté bon vivant ne t'a-t-il pas causé des torts au-delà des médias ?

Lors de ma dernière année à Bordeaux oui. Je n'avais marqué que 4 buts et fait 6-7 passes décisives pour Pauleta, et les gens ont commencé à se dire que ce qu'ils lisaient dans la presse était vrai. Les dirigeants sont venus me voir pour me demander des comptes et je leur ai expliqué que mon attitude n'avait pas changé depuis quatre ans. La seule différence était que j'avais fait l'effort de jouer avec une hernie inguinale pendant cinq mois, alors que Feindouno et Dugarry, par exemple, étaient restés sur le flanc plusieurs mois. Mais le coach n'a jamais rien dit et mes coéquipiers le savaient. Je n'ai de compte à rendre à personne, hormis à mes partenaires. J'ai toujours eu ce respect de mes camarades de ne jamais faire d'écart la semaine. Après le week-end, on était une demi-douzaine de l'équipe à sortir ensemble. Quand les résultats étaient moins bons, les gens nous demandaient ce qu'on faisait là. Je leur retournais la question et ils me disaient :« Nous, on décompresse de la semaine », je leur expliquais que nous aussi, et là c'était des réflexions du genre : « Mais vous vous gagnez tant de milliers de francs... » Est-ce que pour autant cela doit nous empêcher de mener notre vie comme on l'entend ? Je leur répondais donc sans aucun problème : « Cet argent, on nous le donne, on ne le vole pas ». Vous savez, à partir du moment où l'on respecte les règles internes au groupe, cela ne regarde personne. Lorsque l'on a été champion, on menait la même vie et le fait de sortir ensemble aidait même à la cohésion du groupe. Pour en revenir à mon cas personnel, c'est allé chercher encore plus loin. Il est arrivé à mon père d'entendre dans les tribunes du Parc Lescure des spectateurs raconter qu'ils m'avaient vu deux jours avant dans mon bar à moitié ivre en train de servir des verres à une heure du matin, alors que j'avais passé la soirée chez lui. Mais je n'ai pas à me justifier sur tout ça, la seule chose que je peux vous dire c'est que si ça convenait à Guy Roux, cela doit pouvoir aller avec les autres. Et je peux vous confier qu'il s'en est passé des choses certains soirs à Auxerre, surtout l'année du doublé en 1996. D'ailleurs quand je suis parti à Bordeaux, le coach m'a dit, « maintenant que tu pars, tu peux me raconter ce qui c'était passé à telle ou telle occasion ». Mais même aujourd'hui, Guy Roux ne le sait toujours pas... (rires)

Finalement, le principal pour un joueur n'est-il pas de savoir se gérer ?

C'est tout à fait ça ! On est des hommes comme les autres, on ne doit donc pas s'empêcher de faire des choses tant que l'on respecte son employeur et le travail que l'on fait. Quand j'étais encore footballeur amateur, j'ai travaillé trois ans à la chaîne et je faisais mon boulot ; puis une fois terminé, je menais ma vie comme je l'entendais. C'est un principe de vie.

L'année où tu as signé à Bordeaux, après le doublé avec Auxerre, tu as goûté aux joies de la sélection nationale. Quels souvenirs gardes-tu de cette période ?

Dans ma tête, dès que j'ai été appelé, je me suis dit que c'était simplement pour des remplacements parce qu'il y avait des joueurs, comme Trezeguet ou Henry, bien plus forts que moi. J'étais donc intérimaire, mais fier de représenter mon pays. Je me suis fixé pour objectif de marquer le plus de buts possible et j'ai réussi à en mettre trois en sept sélections. Sur le terrain, tout s'est donc bien passé, mais je ne garde pas de grands souvenirs de la vie de groupe. Je suis arrivé après la Coupe du Monde 1998 et je sentais qu'il y avait déjà
des affinités... Comme je n'étais pas d'accord avec tout, j'ai préféré ne pas m'immiscer dans leurs trucs et je suis donc resté dans mon coin.

À ton époque bourguignonne, tu avais noué des liens avec Gérard Depardieu qui suivait régulièrement l'AJA. À quand Cyrano au stade du Ray ?

C'est vrai que quand on a fait le doublé, il était souvent avec nous. C'était un ami de Gérard Bourgoin, notre président. Il faisait chaque déplacement et l'on rigolait bien. Il est même arrivé deux, trois fois qu'il vienne bien « chaud » dans les vestiaires avant un match... (rires) J'en garde un très bon souvenir parce que c'est quelqu'un de simple, de naturel et d'attachant.

Avant de finir, il paraît que tu as été un téléspectateur particulièrement attentif du dernier Bachelor. Peux-tu nous en dire plus ?

Bien sûr, je n'ai rien à cacher. La seule chose qui m'a gêné, c'est que Candice dise que nous étions restés ensemble 4 ans, alors que notre histoire n'a en réalité duré que 8 mois. Sinon, j'ai été prévenu qu'elle allait participer à cette émission, mais il n'y a rien eu de méchant. J'en profite pour vous avouer que j'ai enfin trouvé la femme de ma vie et que nous nous marions cet été.


 

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