Baky Koné:

 

"J'ai envie que l'on me dise que je suis grand"

 

Extrait

 

 

Dans les années 70 jouait à l'OGC Nice un certain Jean-Marc Guillou, un nom qui doit certainement être évocateur pour toi qui as été formé sous sa coupe à l'Académie de l'ASEC Abidjan...

Je le dis toujours, Jean-Marc est un père pour nous qui avons été formés à l'ASEC. Nous avons tout appris de lui, il était, est et sera toujours notre exemple. Depuis on a gardé le contact, on s'appelle régulièrement car de ce parcours sont nés des liens très forts. D'ailleurs, j'ai toujours beaucoup d'amis là-bas.

Tu sembles toujours très attaché à l'ASEC, quelle importance ce club a pour toi ?

Depuis tout petit, ce club me faisait rêver. Toute ma famille soutenait l'ASEC Abidjan ! Moi, j'ai eu la chance de porter le maillot jaune de ce club mythique en Côte-d'Ivoire et d'y accomplir de très belles choses avec mes camarades. C'est énorme, surtout en Afrique.

À l'époque tu avais dû rendre ta famille très fière de toi en intégrant l'Académie ?

Évidemment, et je dois dire qu'ils m'ont toujours soutenu et encouragé. Sans eux, je n'aurais jamais eu la force de persévérer.

Justement, peux-tu nous parler de ta famille si ce n'est pas trop indiscret ?

Je suis issu d'une famille nombreuse dont je suis l'un des cadets. Mes parents n'ont jamais eu d'argent, mais ils nous ont tous élevés sans que l'on ne manque de rien. Quand j'ai commencé à intégrer l'ASEC, tout le monde me suivait, j'étais le plus heureux du monde. Ma famille a toujours vibré pour le foot, comme beaucoup d'autres au pays et plus généralement en Afrique.

En ce qui concerne la Côte-d'Ivoire, comment vis-tu les heures difficiles que traverse le pays depuis plusieurs années ?

Je n'aime pas trop parler de ça, c'est vraiment difficile à vivre. L'an dernier, quand les incidents ont mis la panique dans tout le pays, j'étais en plein milieu. J'ai essayé de rester le plus calme possible, mais comme tous les Ivoiriens, ça m'a fait mal. Mais je n'irai pas plus loin sur ce terrain-là si vous ne m'en voulez pas. Je constate
seulement avec une immense tristesse que des innocents meurent toujours pour rien.

Revenons au football. À l'instar de bon nombre de tes coéquipiers à l'ASEC, tu as un jour commencé à rêver d'Europe. Mais quand certains ont commencé à partir, on t'a dit que pour toi cela serait très difficile en raison de ton gabarit. N'as-tu jamais cédé, par moments, au découragement ?

Non car je savais que le foot professionnel, c'était ma voie ! Et personne n'a jamais pu m'en dissuader. J'ai toujours eu foi en moi, j'ai toujours été soutenu par mes proches et je n'ai jamais rien lâché ! Si cela n'avait pas été le cas, j'aurais certainement arrêté. Mais je voulais avoir ma chance et montrer à tous ceux qui ne croyaient pas en moi qu'ils avaient tort.

Mais à défaut d'Europe, il a fallu dans un premier temps te contenter du Qatar et d'AI-Ittihad pendant six mois. Que t'a apporté cette expérience ?

Ça m'a endurci. Quand tu sors du pays, que tu quittes tes parents et que tu te retrouves tout seul, il faut savoir se débrouiller ! Et puis, j'y ai rencontré Christian Gourcuff qui est devenu un guide pour moi, exactement comme l'avait pu être Jean-Marc Guillou à l'ASEC. Je ne regrette rien de ce passage au Qatar.

Aller au Qatar quand on est musulman, c'est aussi une bonne expérience non ?

Mais la foi, je l'ai partout ! Je n'ai pas besoin d'être dans un pays musulman, au Qatar ou ailleurs pour être croyant.
 

Un signe que ton passage là-bas a été une réussite est que cela t'a directement conduit à Lorient dans le sillage de Gourcuff...

Cela n'a pas été si simple que ça. Quand mon contrat de six mois s'est achevé, je suis venu en France pour passer les vacances chez un de mes frères à Pontivy, pas très loin de Lorient. Niveau football, je n'avais rien, mais je
ne voulais surtout pas retourner à Abidjan. Christian était dans les parages, on s'est vu un jour, et il m'a demandé si j'aimais la couleur orange. J'ai répondu oui sans même savoir que c'était la couleur du maillot de Lorient ! Peu de temps après, il m'a proposé de relever le challenge de la L2 car il savait que je donnerais tout de par ma nature, mais aussi parce que je voulais absolument rester en Europe. De mon côté, c'est le côté humain qui a tout guidé. Christian m'a accordé sa confiance et j'ai tout fait pour la justifier par la suite.

Comment se sont passés tes débuts chez les Merlus et plus largement en L2 ?

Quand je suis arrivé, j'étais tout content, c'était génial pour moi de me retrouver là. Cette attitude m'a facilité les choses, mais j'avais aussi tout à prouver, à moi, au coach et à ceux qui me condamnaient d'avance en raison de ma taille. Il fallait que je leur montre à tous que je pouvais m'imposer et pour cela, je pouvais compter sur la confiance du coach, ce qui était pour moi la seule chose importante. J'avais la L1 en ligne de mire et je peux vous dire que dans ce sens, la L2 a été une excellente école.

Avec 14 buts inscrits dès ta première saison lorientaise, as-tu été surpris de t'être intégré si rapidement ?

Non, ce sont les autres qui ont été surpris car la plupart ne croyaient pas en moi. Certains se sont dit : « Comment il a fait ?», mais pour moi, tout ce qui m'est arrivé de bien, et je l'espère m'arrivera encore, est normal. J'ai fait beaucoup de sacrifices dans ma vie pour en arriver là, et quand on fait des sacrifices, on est toujours récompensé à un moment ou un autre.

Mets-tu cette volonté de fer sur le compte de la foi ou de la conviction sportive ?

C'est tout à la fois !

Tes titres de meilleur buteur (24 buts) et de meilleur joueur de L2 sont en tout cas venus confirmer que
ta persévérance a payé. Comment les as-tu appréciés ?

J'ai pris ça sans me prendre la tête. Savoir que ce sont les joueurs qui ont voté pour moi a été très significatif. J'étais simplement fier du travail accompli avec mes coéquipiers car cette récompense était aussi la leur. Au moment de la remise du trophée, j'avais tout en moi comme émotion, mais ce que j'ai le plus ressenti, c'est un grand soulagement. Il a toujours fallu que je me batte, il le faudra certainement encore, et je peux dire que je n'ai jamais baissé les bras devant les difficultés. Je ne suis pas arrivé là par hasard, j'ai énormément travaillé.

Ton passage en L 1 à Nice semble donc être plus une récompense qu'une consécration car on n'a pas l'impression que tu veux t'arrêter là...

Tu m'as compris, mais je préfère ne pas trop parler. J'ai encore plein de choses à prouver et je le ferai sur le terrain.

Sans t'enflammer, parce que tu as l'air de ne pas trop aimer ça, on peut dire que c'est bien parti après tes performances contre Troyes et Toulouse !

Je joue mon jeu. J'aime provoquer, faire des brèches dans les défenses adverses, mais comme tu le dis, je ne fais pas des montagnes de ces deux premiers matches. Je suis là pour ça, si le coach me fait jouer, c'est qu'il attend que j'apporte ma pierre à l'édifice dans mon registre. Aujourd'hui, je me dis simplement que je suis sur le bon chemin, voilà. Pas la peine d'en faire des tonnes, la saison est encore longue et en football, tout va très vite. Un jour tu es le meilleur et le lendemain tu es le plus nul. C'est pour ça qu'il faut rester simple.

En apprenant ton arrivée au club, les supporters étaient enthousiastes. Tu étais un peu leur chouchou bien avant le premier match contre Troyes, et après ta performance ce soir-là, même s'il elle n'a pas été récompensée par un but, sans oublier ta première et splendide réalisation à Toulouse, certains te surnomment déjà « Diego »! Cette ferveur t'inquiète-t-elle ?

Oui et non. D'un côté, je ne veux pas que l'attente soit démesurée et que l'on ne voie que moi dans l'équipe car sans mes équipiers, je ne suis rien ! De l'autre, je ne me fais pas de souci sur le plan personnel car je ne suis pas du genre à me prendre pour un autre. Comme je vous l'ai dit, je suis là pour ça, au même titre que nos défenseurs, nos milieux et nos attaquants qui amènent chacun leurs qualités. Il ne faut pas oublier ça, c'est la base de tout pour une équipe. En tout cas, j'ai vraiment ressenti une belle communion avec le public niçois, que ce soit au Ray ou à Toulouse. Le genre de truc qui donne des ailes ! J'espère que cela va durer... Après, je reste un peu surpris de ce que tu me dis à propos de Diego. J'imagine que tu fais référence à Maradona, et là, il faut que tu saches que cet homme est un dieu pour moi !

À ce point ?

Si on parle football, c'est mon modèle ! Je ne juge pas ce qu'il a fait dans sa vie. Ce gars, il avait un don naturel pour le football, c'est exceptionnel. J'ai vu beaucoup de cassettes de ses matches, j'étais fasciné et je le suis toujours. Alors si les supporters me comparent à lui, je vais continuer à provoquer les défenseurs (rire). J'en souris parce que je ne prétendrai jamais lui arriver à la cheville, mais ça fait tout de même plaisir. Merci les gars (il éclate de rire) !

Par contre, à toujours provoquer, n'as-tu pas peur que les défenseurs durcissent leur jeu contre toi ?

Sur un terrain, je n'ai peur de personne. Je suis croyant et je pars du principe que si quelque chose doit arriver, rien ne peut changer le cours des choses. Quand j'entre sur la pelouse, je suis toujours confiant en mes possibilités et celles de l'équipe. Si je suis craintif, ce n'est pas la peine... Et puis chacun ses qualités. Les défenseurs sont là pour m'empêcher de passer et sont à fond, comme moi qui tente de les mettre à défaut.
C'est normal. Des fois on prend des coups, c'est le jeu qui veut ça tant que l'on ne tombe pas dans l'agression. Et puis, je sais me défendre...


Tes paroles sont empreintes d'une droiture exemplaire, confirmes-tu que c'est une qualité essentielle pour mener une carrière honorable dans le foot pro, comme dans la vie en général ?

Mes parents m'ont éduqué, m'ont transmis des valeurs saines et humaines que je m'efforce aujourd'hui de conserver. En restant droit et honnête envers moi comme vers les autres, je rends en quelque sorte hommage à mon père qui, malheureusement, n'est plus parmi nous. Il était tellement heureux de me voir me battre pour réussir il aimait tellement le foot, une passion qu'il m'a transmise... Il m'a indiqué un chemin à suivre et je ne dévie ma route sous aucun prétexte.

Pour toi, qu'est-ce qui est le plus important : que l'on reconnaisse ton honnêteté ou tes qualités de joueur de foot ?

Si je pouvais avoir les deux (rire)... Sincèrement, je préférerai toujours que l'on reconnaisse mes qualités humaines que footballistiques. Car le foot ne dure pas toute la vie. Et même si je sais que je vais tout donner tant que je serai sur les terrains, il faudra continuer à vivre après.

En ce qui concerne l'OGC Nice, quelle image as-tu du club aujourd'hui ?

Le Gym a tout pour devenir grand et il le sera avec ou sans moi. Maintenant, je compte bien faire ma part du boulot !

Malgré une timidité apparente, on a l'impression que tu t'es rapidement intégré dans le groupe...

Je ne suis certainement pas le premier à le dire, mais je confirme qu'il y a une ambiance extraordinaire dans cette équipe ! Dès mon arrivée, les gars ont été super avec moi. Ils ont fait preuve d'une grande gentillesse, ça m'a touché.

Physiquement, tu t'es aussi rapidement mis dans le rythme de la L1 malgré seulement deux petites semaines de vacances à cause des éliminatoires de la CAN avec la Côte-d'Ivoire ?

C'est vrai que malgré le peu de repos que j'ai eu, je me suis senti bien dès le départ. Il va tout de même falloir que je fasse attention car on n'est jamais à l'abri d'une mauvaise surprise.

Et avec le coach, comment ça se passe ?

De quel coach tu parles ? (rire)

Eh bien de Frédéric Antonetti !

Je dis ça car tous mes anciens entraîneurs, je les appelle encore « coach ». En ce qui concerne Frédéric Antonetti, je ne le connaissais que de nom. Avant de venir, j'ai discuté avec lui et son discours m'a plu. C'est un homme honnête et ce qui me plaît c'est qu'il parle et agit en tout franchise. Si le contact n'était pas bien passé entre nous, si je n'avais pas senti une réelle envie de sa part de travailler avec moi, je ne serais sans doute pas venu.

D'autant que tu ne manquais pas de propositions...

J'aurais peut-être pu gagner plus d'argent ailleurs, mais cela n'a jamais été le plus important pour moi. Ce qui compte, c'est la confiance du coach et le fait que l'OGC Nice soit un club en devenir.

À propos d'argent, n'est-ce pas difficile de garder la tête froide quand on en gagne beaucoup ?

Ça dépend comment tu vis avec. Moi, j'ai vécu avec le minimum et si maintenant je gagne bien ma vie, je sais encore mieux que l'argent ne fait pas le bonheur. J'aurais pu changer par rapport à ça, mais je sais d'où je viens, je ne perds pas les pédales.

Si ce n'est pas tant les chèques qui te font avancer, peut-on parler de feeling dans tes choix et notamment dans celui de t'engager avec Nice ?

Complètement ! Et ça ne m'a jamais trompé. Par exemple, quand je suis arrivé à Lorient, beaucoup se posaient des questions sur mon compte, mais moi je savais que ça marcherait.

Et à Nice ?

On le verra sur le terrain.

Et en sélection ivoirienne ?

C'est pareil ! (rire)

Bon, compris, on attendra tes prochains buts... Mais pour en revenir à la sélection, est-ce un  rêve de porter le maillot des éléphants?

Ça l'est pour tout Ivoirien ! J'imagine que c'est partout pareil. Défendre les couleurs nationales, c'est un honneur immense que je ne pensais pas connaître étant plus jeune.

En plus, vous avez une sacrée équipe en ce moment. Tu es confiant pour la CAN qui se déroulera en janvier prochain ?

On a un groupe de qualité, on peut réaliser de grandes choses. J'espère d'ailleurs que les Français s'en rendront compte le 17 août à Montpellier...

Pour finir, quel est ton grand rêve aujourd'hui ?

J'ai envie de faire taire tous ceux qui n'auraient jamais misé sur moi, j'ai envie que l'on me dise que je suis grand ! Aujourd'hui, je suis heureux d'être parti de Lorient la tête haute, je veux continuer à tracer ma route avec ambition et respect, que l'on dise que Bakari Koné est un homme de valeur, et pas seulement en matière de football.


 

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