Bellion, la promenade d'un anglais

 

Extrait France Football

 

 

Au loin, par-dessus la table d'interview installée en plein air, l'azur a la cote dans le ciel niçois. Une jolie couche de bleu nappe l'horizon, comme un symbole de la dissipation du brouillard qui enveloppait l'humeur de David Bellion en Angleterre.

«J'évoluais à Manchester United, l'un des plus gros clubs au monde, mais je n'étais pas épanoui, raconte le nouvel attaquant du Gym. Ici, je joue et je suis heureux En plus, je reviens dans la région. » Cannes la voisine a, en effet, longtemps abrité la formation de cet attaquant, qui, à l'été 2001, s'était arraché à son anonyme statut de joueur de CFA2 pour directement rallier Sunderland, grimpant ainsi d'un seul coup pas mal de marches sur le glissant escalier de la notoriété. Il avait alors dix-huit ans, l'âge de partir à l'aventure, de franchir le Channel et de traverser en même temps l'écran, afin de rejoindre les héros qui peuplaient ses fins de week-end. « J'avais envie d'aller en Angleterre, un Championnat que je voyais grâce à L'Équipe du dimanche, justifie ce natif de Sèvres, dans les Hauts-de-Seine. A la base, pourtant, je devais rejoindre Nantes, dont j'avais même visité les installations, mais j'étais réticent. L'AS Cannes, de son côté, descendait à ce moment-là en National et me proposait un contrat espoirs de trois ans. Il y avait aussi de petites touches avec le PSG, Fulhaart. Mais, un jour, alors que j'étais en train de me reposer sur la plage, je me suis dit " Je vais aller à Sunderland. " Ça s'est fait de cette manière, intuitivement. Puis, là-bas, j'ai vécu deux années exceptionnelles même si je n'ai pas beaucoup joué. » Au cours de sa première saison, il est allé à l'école, celle de la patience, en alternant les prestations avec la réserve et les bouts de match grignotés en Premier League. Son heure de gloire a fini par sonner au début du Championnat 2002-03, car sa première titularisation a coïncidé avec un but victorieux inscrit face à Aston Villa (1-0), le 28 septembre 2002.

Les prédictions de sir Alex

Mais ce coup d'éclat, accompli au Stadium of Light de Sunderland, ne lui a pas permis d'attirer la lumière de façon permanente, puisqu'il s'est ensuite retrouvé, selon ses dires, « à la cave ». Les raisons de cette plongée dans les oubliettes de l'effectif sont à dénicher dans des histoires contractuelles : en janvier 2003, Manchester United a assidûment dragué le joueur, à six mois de l'expiration de son contrat. Cependant, son président, désireux de rafler le maximum à la Bourse des transferts, a placé la barre trop haut et a ainsi assommé les négociations. David Bellion, opposé à l'idée de prolonger son séjour chez les Black Cats de Sunderland, a donc été mis à l'écart par des dirigeants soucieux de préparer la saison suivante en Division One avec des joueurs désireux de rester au club. Sa pénitence s'est achevée une fois le printemps venu, lorsque la proposition des Red Devils a refleuri et qu'il a pu recouvrer sa liberté de choix. «J'ai eu un chemin bizarre, commente à ce sujet cet ancien international Espoirs. Je suis arrivé à Manchester sans jouer. Ensuite, là-bas, je n'ai pas joué. » Les chiffres épaulent son discours étreint par la lucidité, même si quatorze apparitions en Premier League, pour deux buts inscrits, ainsi que quatre matches de Ligue des champions, ont égayé l'exercice 2003-04. Le suivant, en revanche, a témoigné de la décrue de ses statistiques : malgré deux buts inscrits en Championnat et deux autres en Ligue des champions, il a vécu une saison la plupart du temps contingentée par son évolution avec l'équipe réserve. Son parcours à Manchester a donc épousé une pente déclinante bien surprenante, surtout que sir Alex Ferguson avait cru, très tôt, déceler en lui un clone possible de Thierry Henry, en raison de sa percussion et de sa force de pénétration.

Les quatre ans de contrat paraphés à l'été 2003 par David Bellion attestent d'ailleurs de la confiance que lui a accordée à l'époque le manager des Red Devils, qui a fini par prêter son joueur à l'entame de cette saison pour qu'il puisse compiler les rencontres et dilater son temps de jeu famélique. West Ham, notamment, préféré à Nice, a donc accueilli l'espoir mancunien, sans pourtant lui offrir ce qu'il était venu y chercher. Ses sept petites apparitions en six mois ont ainsi déposé dans sa bouche le goût âcre de la frustration et de l'incompréhension.

 «West Ham, ç'a été la goutte d'eau, regrette-t-il. Là-bas, j'ai joué mon premier match à la fin octobre, quatre mois après une double fracture du péroné et un arrachement des ligaments subi avec la réserve de MU. C'était contre Bolton (NDLR : 0-1, Carling Cup) et j'ai été élu " homme du match ". Trois jours après, j'ai joué contre Liverpool : on a perdu 2-0, j'ai fait un match moyen, comme toute l'équipe, mais je suis le seul à l'avoir payé... » Il détaille cette mésaventure avec des mots déshabillés de toute aigreur, de toute méchanceté, avec le souci évident de ne pas souffler sur les braises de la polémique. «On m'a pris pour... Je ne sais même pas mettre un mot dessus, poursuit-il. Mais je sais ce que j'ai vu pendant six mois : j'étais écoeuré. Quand on est français dans un club très british, c'est spécial, même si les Anglais ne le font pas vraiment sentir. Ferguson m'avait prêté là-bas pour que je joue. Alors, j'ai pété les plombs, surtout qu'à mon arrivée l'entraîneur (Alun Pardew) m'avait annoncé que j'allais être titulaire sur le flanc droit toute la saison. L'équipe a bien joué sans moi, le problème ne se situe pas là : il est dans la façon de faire. Mais un jour, par rapport à ce qu'on a fait de bien ou de mal, la part du mérite, elle finit par venir. »

« Je suis un jeune vieux de vingt-trois ans »

Il espère la recueillir à Nice, où les routes tortueuses de sa jeune carrière l'ont conduit, sans que cette destination nouvelle ne relève d'un choix laissé au hasard. Il dit en effet avoir ignoré des appels du pied néerlandais, anglais ou espagnol pour accorder sa préférence à l'Hexagone, censé enfin donner des ailes à sa carrière. Un tel retour est escorté par la curiosité car, au fond, son curriculum vitae a des reflets trompeurs : le nom de Sunderland et celui de Manchester United brillent dessus, mais l'ombre des bancs de touche plane sur son passage outre-Manche. L'intéressé admet d'ailleurs sans aucun problème qu'il doit brancher sur courant continu une carrière qui fonctionnait jusque-là au courant alternatif, qu'il doit cesser d'écrire en pointillé son existence de footballeur. « Je n'ai rien fait à Manchester et je suis méconnu en France, où personne ne m'a vraiment vu jouer, souligne-t-il. Si je deviens titulaire indiscutable pendant une ou deux saisons, ce sera, dans un sens, le début de ma carrière, moi qui suis un "jeune vieux" de vingt-trois ans. Ma venue à Nice est donc importante. J'ai six mois pour me tester, pour prouver à tout le monde, pas seulement à Manchester United. » Six mois, aussi, pour peut-être prolonger son séjour au sein du Gym, qui a financé en partie son prêt grâce à l'argent reçu à la suite du transfert à Manchester United de Patrice Evra, passé par Nice.  «Je tente d'oublier tout ça et de me concentrer sur mes matches, rétorque David Bellion. Je me sens très bien ici, du fond du coeur, mais je ne suis pas le seul à avoir mon mot à dire. » Ceux de Frédéric Antonetti sont en tout cas dépourvus de toute ambiguïté :« Je souhaite qu'il reste. Après, on verra. C'est un très bon joueur, complet. Il a un gros potentiel, mais il a besoin de compétition, car sa marge de progression passe par là : il faut qu'il joue. »

Jouer pour affiner la forme physique, jouer pour entasser de l'expérience, jouer pour réussir cette moitié de saison charnière qui peut lui ouvrir les portes d'une plus grande notoriété, « Pour l'instant, avec le peu de matches que j'ai dans les jambes, j'ai fait des rencontres de Championnat correctes, souligne celui qui a inscrit mardi, à Saint-Etienne, son premier but en Ligue 1(0-1). Mais je sais que j e peux faire bien mieux, car mes qualités sont là. Il y a en plus ici tous les éléments pour repartir du bon pied. En arrivant, j'ai eu l'impression que j'étais là depuis deux ou trois ans : c'est vraiment très facile de s'intégrer. Il y a aussi cette finale de Coupe de la Ligue au Stade de France, un terrain que je n'ai jamais foulé. Nice se prépare un bon futur si ça continue comme ça. Et puis, je suis satisfait de mon retour aux sources. » C'est peut-être l'idéal quand on espère voir couler des bonheurs en cascade.