Guidicelli :
" il faut augmenter le budget et faciliter l'arrivée d'investisseurs "
extrait
Beaucoup de personnes vous ont reproché d'être arrivé au club sans conviction, presque par hasard. Plus d'un an après, votre implication semble avoir levé tout soupçon sur vos intentions. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
Je suis arrivé avec un projet réel et des gens prêts à me suivre. Dans le contexte de l'époque, mon profil a gêné certaines personnes car j'étais inconnu dans le monde du football, d'origine corse et issu d'une famille d'instituteurs gérant depuis près de vingt-cinq ans un casino. Il y a donc eu tout un tas de spéculations autour de ce jeune actionnaire de moins de trente ans nommé Franck Giudicelli. Puisque l'occasion m'en est donnée, je tiens à préciser certaines choses sur le monde des jeux. Il faut savoir que le principal actionnaire des casinos est l'État et qu'à ce titre nous travaillons avec l'agrément du Ministère de l'Intérieur. D'ailleurs, notre établissement de Besançon est cité en référence pour sa gestion par la police des jeux. Mes origines m'ont donc desservi et je pense sincèrement que si j'avais été picard d'origine landaise, autant de soupçons n'auraient pas pesé sur moi. Même si je suis conscient que l'on ne peut jamais faire l'unanimité, cela m'a porté préjudice à partir du moment où cette situation a remis en cause l'implication de mes associés. La suite, on la connaît, un tour de table avec des investisseurs niçois a été organisé et tout le monde s'est fait confiance pour la survie du club. J'ai simplement envie de dire par rapport à cette période que l'avenir m'a donné raison.
Justement, vos origines corses semblaient être un gros handicap dans un club a forte identité comme Nice. Votre plus grande victoire n'est-elle pas aujourd'hui d'être totalement accepté par les supporters?
Sans aucun conteste, oui ! Même s'il existe beaucoup de Corses d'origine à Nice, j'ai tout de suite senti que sportivement une animosité régnait entre les supporters des deux camps. Mais en fait, tout s'est rapidement arrangé à partir du moment où ils ont perçu mon côté passionné. C'est d'ailleurs mon plus gros défaut en tant qu'actionnaire, je suis plus supporter qu'autre chose, ce qui implique parfois des difficultés pour faire la part des choses. Mais mon plus beau cadeau, c'est lorsque des supporters viennent me remercier d'avoir contribuer à sauver le club.
Avant de rentrer dans te capital de l'OGCNice, comment viviez-vous votre passion ?
J'ai envie de dire comme tout un chacun, c'est-à-dire en essayant de découvrir le plus de stades possible, en m'informant au maximum et en suivant de nombreuses rencontres à la télévision. J'ai également parmi mes relations des personnes impliquées dans le football, à différents échelons, qui m'ont permis de découvrir l'envers du décor. Mais je ne m'intéresse pas trop au domaine extra-sportif, même si j'ai des diplômes qui me permettraient de m'impliquer dans la gestion. La seule chose qui m'intéresse concerne le rectangle vert.
Arrivé d'un milieu étranger au monde du football, vous continuez votre découverte. Que vous a-t-il le plus surpris ?
Si l'on généralise, on peut dire que
c'est un monde à part, fait principalement de strass et de paillettes, où un
club comme Nice se démarque par sa gestion
et surtout ses rapports humains. On ne va pas toujours revenir sur le passé,
mais le contexte dans lequel s'est construite cette équipe est garant de la
pérennité de valeurs importantes. C'est un peu comparable à une famille où
chacun est placé sur le même pied d'égalité.Quand j'ai vu avec quelle simplicité
Lilian Laslandes est arrivé, malgre son statut d'international et de meilleur
buteur français en activité, cela m'a impressionné, mais pas réellement étonné
car Gernot Rohr recrute avant tout en fonction de la mentalité. Personne ne doit
venir semer le trouble dans ce groupe solidaire et sympa. D'ailleurs une
anecdote m'a marqué la saison dernière lors de notre déplacement à Guingamp. À
leur arrivée à l'hôtel, les joueurs signaient des autographes et discutaient
avec des personnes présentes quand le directeur de l'établissement m'expliqua sa
surprise de voir un tel comportement. Ce n'était pas grand-chose, mais aucune
équipe n'était venue auparavant avec autant de simplicité et de décontraction.
Je ne suis donc pas sûr que ce que je vis au quotidien soit le reflet de ce qui
se passe dans la majeure partie des clubs.
Vous restez une personnalité atypique dans un milieu où les clubs sont le plus souvent dirigés par des grandes sociétés ou des milliardaires. Comment vivez-vous ce statut ?
Bien, mais au-delà de moi, on a prouvé que l'on pouvait faire du bon travail avec des actionnaires privés. Maintenant, il est certain que notre réussite est basée sur des principes de rigueur et de sérieux bien établis. Nous devons donc respecter notre ligne de conduite pour espérer continuer à consolider les bases et construire un avenir au club, sans perdre de vue que l'ensemble est encore précaire. Les résultats sportifs sont favorables, mais là aussi il peut y avoir des moments difficiles. Pour autant, ils ne devront pas tout remettre en cause. « L'avantage » des clubs à gros moyens est de pouvoir changer radicalement de politique du jour au lendemain à coup de millions, mais à Nice on doit bâtir dans le temps.
Quel type d'avenir envisagez-vous dans le football ?
Je vis un peu au jour le jour. Question foot, je n'ai pas de prétentions particulières. Je ne sais pas si je pourrai avoir d'autres responsabilités un jour, notamment par rapport à ce que je disais précédemment sur ma difficulté à faire la part des choses. Je suis chauvin, je privilégie les résultats... En résumé, je n'ai pas encore un œil sage. À l'heure actuelle, ma passion prend le dessus et j'aurai du mal à trancher certaines décisions. Je suis imprégné par ces couleurs rouge et noire et je ressens toutes les injustices au 10e degré.
Vous imaginez-vous réaliser une « carrière » à la Nicollin, un autre passionné ?
Non, car les époques sont différentes et surtout je ne suis pas seul dans l'aventure. Des personnes comme Louis Nicollin (président de Montpellier) ou Michel Moretti (président de l'AC Ajaccio) ont réalisé des choses exceptionnelles en prenant un club amateur et en lui faisant gravir tous les échelons jusqu'à l'élite. Personnellement, j'admire ces personnes, mais je ne cherche pas à les imiter. Je vis ma passion comme elle vient et seul le futur dira quel sera mon avenir dans le football.
À l'image des autres actionnaires, vous êtes très peu médiatisé. Est-ce volontaire ?
Il y a naturellement des gens qui sont plus sous les feux des projecteurs que d'autres. Je savais que le foot était médiatique, mais de l'intérieur je m'aperçois que cela va au-delà de ce que j'imaginais. Personnellement, je n'attire pas les médias et cela tombe très bien car je suis de nature discrète. Je sais d'où je viens et je n'ai besoin de personne pour vivre ma passion. Il y a des clubs, comme à Barcelone, où la médiatisation est inhérente au quotidien. Si on prend l'exemple de son nouveau président, Laporta, il s'est retrouvé sur le devant de la scène sans le choisir. À Nice, les choses sont différentes et il est possible pour un actionnaire de rester en retrait.
Le président Cohen a fait part de sa volonté de vouloir s'impliquer dans les instances fédérales. Est-ce aussi dans votre intention ?
Non, il est très bien dans ce rôle et je ne pense pas que ce soit le mien. Son élection permettrait à l'OGC Nice d'être mieux représenté. C'est un homme de dialogue et son action ne pourra être que positive pour le club. Je pense que c'est un passage obligé à moyen terme pour continuer sur notre dynamique. Dans le football actuel, le poids des instances de la Ligue est indéniable, il faut donc faire en sorte de s'asseoir à la table des grands.
Comment parvenez-vous à conjuguer votre activité professionnelle et cette implication grandissante au sein du club rouge et noir ?
Jusqu'à maintenant, j'ai privilégié le club en étant là constamment à domicile comme à l'extérieur. J'ai conscience que cela va être de plus en plus dur, mais j'avais envie de profiter de l'euphorie de la première année en L1. Quelque part, j'ai passé une année sabbatique pour savourer chaque instant. Mes obligations professionnelles reprennent progressivement le dessus, mais je serai toujours aux côtés de l'équipe dès que j'en aurai l'occasion.
Lorsque l'on est immergé dans une activité « nouvelle » comme vous l'êtes actuellement dans le football, garde-t-on le temps de vivre à côté ?
C'est assez difficile... Si vous comptez que chaque week-end, je suis sur les terrains ou dans les hôtels et la semaine toujours occupée, cela laisse peu de place à la vie privée. Mais lorsque l'on a une passion, c'est comme ça !
À même pas trente ans, vos rapports avec les joueurs sont forcément privilégiés. On vous sent très proche, mais aussi très protecteur avec eux. Comment définiriez-vous ce lien qui vous unit ?
Du fait de mon jeune âge, nos rapports sont forcément particuliers, notamment par rapport aux autres actionnaires. C'est d'ailleurs aussi pour ça que je serai un très mauvais président. Sans connotation, ce sont mes poulains. Je les vois régulièrement, ils se confient à moi, c'est un peu comme ma famille. Dans ces conditions, il m'est difficile d'intervenir dans un litige, d'être impartial. Je ne m'intéresse donc qu'à ce qui me plaît : le jeu et l'équipe.
En faisant les déplacements, en les voyant régulièrement, n'est-il pas délicat de garder certaines distances pour que le côté sentimental n'empiète pas sur la hiérarchie actionnaire-joueurs ?
Si, et c'est d'ailleurs pour cela qu'en reprenant une activité professionnelle plus régulière, je serai moins présent et cela ne sera pas plus mal. Depuis un petit moment, j'ai également pris la résolution de ne plus assister aux matches du banc de touche, d'abord parce que c'était trop dur nerveusement, mais surtout pour essayer de prendre de la distance par rapport au groupe.
Cette relation n'est-elle pas également délicate gérer vis-à-vis des autres actionnaires ?
Non, je ne pense pas que ce soit un problème à ce niveau, chacun connaît mon sentiment sur le foot. Je crois qu'ils sont de toute manière tous passionnés, mais que simplement ils le vivent différemment de moi. L'âge et d'autres facteurs font qu'ils sont plus mesurés, et heureusement, sinon on mettrait tous les crampons et on irait s'entraîner avec l'équipe, (rires)
Dans la répartition des tâches entre actionnaires, vous avez décidé de vous impliquer auprès des supporters. Là aussi une relation privilégiée semble s'être instaurée puisque vous avez assisté à la rencontre face à Lille avec la BSN dans la Populaire Sud. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J'avais toujours dit que j'irai voir au moins une mi-temps dans la BSN pour ressentir l'ambiance de l'intérieur. Cela m'a fait plaisir, et surtout, je sentais que c'était réciproque. Mais vous savez, je ne suis pas du style à rester assis pendant un tout un match, alors ma présence dans la tribune ne dénotait pas. Sinon, j'ai de très bons rapports avec les différents leaders des groupes de supporters. L'année dernière, ils m'avaient sollicité pour être leur relais au sein du club, pour faciliter le dialogue. J'ai accepté ce rôle et cela m'a permis d'apprendre à mieux les connaître. J'ai toujours eu beaucoup de respect pour les personnes capables de faire quinze heures de car pour assister à un match de football.
Quels jugements portez-vous sur les interpellations de certains membres de cette section et le mouvement de grève général qui a suivi II y a quelques semaines ?
Même si cela m'a gêné de ne pas les entendre pendant quatre-vingts minutes, je respecte leur choix. Sur le fond, il est évident que les forces de l'ordre ne peuvent pas tout laisser passer, mais il faudrait aussi que d'un autre côté les instances du football français relativisent certains faits qui se déroulent dans les stades. Lorsque l'on inflige au club (et donc aux supporters) une amende de 30 000 euro pour avoir jeté du papier hygiénique sur la pelouse à l'entrée des joueurs, plus personne ne comprend. Le football est un spectacle, avec tout ce que cela comporte.
Cette solidarité de l'ensemble des groupes de supporters prouve la nouvelle dynamique derrière le club rouge et noir. La pérennité de cette nissartitude n'est-elle pas un des gages les plus importants pour l'avenir du Gym ?
C'est certain et je suis persuadé qu'il existe un potentiel énorme à Nice, même s'il n'est pas encore réellement exploité. On est tout de même passé de 1 000 à 6 000 abonnés, la moyenne d'âge des spectateurs est jeune et les 3/4 du stade sont désormais en rouge et noir. Les gens me disent qu'ils n'ont jamais vu une aussi belle ambiance au stade du Ray que depuis un an. Mais le signe fort du développement du club, je l'ai vu ailleurs, en me baladant du côté de Cannes et de mon village en Corse où j'ai vu des jeunes avec le maillot du Gym sur les épaules. Quelque chose est né, il faut maintenant le développer étape par étape.
En deux ans, l'OGC Nice a connu une évolution spectaculaire aussi bien au niveau structurel, que sportif. Le club donne même le sentiment d'être au maximum de ses possibilités en rapport à ses moyens. Le président parle de Grand Stade et de l'apport d'investisseurs pour franchir un nouveau palier, quel est votre sentiment ?
Il a raison car lorsque je parle de développement, je pense avant toute chose à des outils de travail adéquats. Ensuite pour avoir une équipe capable de jouer l'Europe régulièrement, il faut augmenter le budget et donc faciliter l'arrivée d'investisseurs, car il faut s'attendre à ce que les gens en demandent plus. Dans le sport, on ne peut pas stagner, les supporters ne le comprendraient pas. C'est donc maintenant que nous devons préparer l'avenir car la ville de Nice mérite une équipe digne de ce nom.
Comme chaque année, l'avenir du club passera avant tout par la DNCG. Que peut-on dire de la situation financière de l'OGC Nice aujourd'hui ?
Pas de souci de ce côté-là, les budgets seront équilibrés comme la saison dernière où nous avions réalisé un bénéfice, chose assez rare dans le foot moderne pour être souligné. Je fais entièrement confiance au président Cohen pour ce qui est de la gestion.
Si l'on vous permettait d'exaucer trois vœux pour le futur du club, quels seraient-ils ?
Le premier serait de voir certains
jeunes formés au club jouer en équipe première, le second d'avoir toutes les
infrastructures opérationnelles, c'est-à-dire un centre d'entraînement et un
stade où l'on pourrait faire au moins 25 000 spectateurs de moyenne ; et enfin
le troisième, de se qualifier pour une coupe d'Europe et/ou gagner une des deux
coupes.