NICE : Esprit, tu es là
Un groupe ultra-solidaire, solide et sans complexes. Voilà à quoi ressemble l'OGCN cette saison. Résultat? Une place dans les premiers de L1 et une image redorée.
L'ENNEMI, C'EST LA ROUTINE. Pour la
combattre en ce matin de match, Gernot Rohr avait promis un truc neuf. Alors,
avant d'aller marcher ou courir dans la forêt pour ceux qui le désiraient, il a
conduit ses joueurs au musée d'Art contemporain de Carros, juste histoire de
leur changer les idées, de leur montrer une fois encore que leur univers n'était
pas tout l'univers.
Certains ont trouvé « nazes » les œuvres exposées, d'autres ont avoué que ça les
intéressait assez peu, il y eut aussi quelques « Pas mal », un ou deux « C'est
beau » et de rares « Bon, on rentre ? ». D'évidence, ils étaient satisfaits
d'être ensemble, de rire ensemble ou de se taire ensemble.
De retour à l'hôtel de cette petite commune de l'arrière-pays niçois, où ils se
retrouvent avant chaque match à domicile, un groupe de quatre a accaparé le
billard, et Kaba Diawara, bénéficiant des conseils de Romain Pitau, a battu son
compère attaquant « Malek » Cherrad. La première partie achevée, Diawara et
Cherrad ont répondu aux questions d'un journaliste de France 3, et, pour
expliquer leur complémentarité devant le but adverse, Diawara a lâché, le plus
sérieusement du monde : « C'est normal qu'on se soit trouvés très vite, Malek
est un type intelligent. » Le fou rire de Pitau et du Brésilien Everson et les
larmes de joie de Kaba auraient pu vexer Cherrad, il s'est contenté de leur dire
: « Vous êtes vraiment trop cons, il disait intelligent sur le terrain, pas en
général...» Ré-crise de rire... «En quatre ans il s'est passé beaucoup de
choses, commente José Cobos. Les galères comme les espoirs ont rendu ce groupe
très mûr. Les jeunes se rendent déjà compte que commencer une carrière dans ces
conditions, ça leur donne une force mentale. Je dois ajouter qu'on vit bien
parce que Gernot nous laisse vivre, dans les limites qu'il a fixées. »
Elles ne sont pas si larges mais peu contraignantes. Eric Roy explique : « II y
a des règles sur lesquelles on ne transige pas. » Elles sanctionnent par exemple
« un écart de langage, un manque de professionnalisme ou un manquement au
respect dû au maillot comme aux équipiers... » Une telle conduite fait « réagir
le groupe qui sanctionne sans mettre l'entraîneur au courant. Ça se règle entre
hommes adultes et responsables. » La communauté niçoise est un cercle fermé,
très privé, très prisé aussi. Et même si « certains ne pourraient pas rester
avec nous », comme en convient Eric Roy, «je sais que nous donnons envie à pas
mal d'autres. Si j'étais recruteur Je regarderais avant tout la mentalité du
joueur que j'envisage de faire venir. J'ai quelques copains, comme Robert Pires,
qui m'ont dit qu'ils sont heureux de nous voir réussir, ils pensent que c'est
bon pour le foot. Oui, on a tous le sentiment d'avoir une belle identité. C'est
lié à notre histoire, au fait qu'après le premier match du Championnat, perdu à
domicile contre Le Havre, je me suis dit qu'on allait vivre l'enfer, qu'on
risquait d'être rétrogrades en cours de saison. Sauf que le match suivant, et
puis celui d'après, et tous les autres depuis, j'hallucinais quand je voyais
trois rouges toujours sur le ballon, comme des morts de faim. On en fait dix
fois plus que les autres. C'est la première fois que je vois ça depuis le début
de ma carrière : onze mecs prêts à se mettre chiffon pour récupérer le ballon.
Notre force, c'est aussi cette liberté que laisse Gernot. Il fixe les principes
puis ensuite nous traite en adultes. »
Avait-il seulement le choix,
Gernot "?
Pouvait-il, dans un contexte aussi spécial, reproduire les schémas d'assistanat
et de déresponsabilisation qu'emploient les grands clubs ? Lui dit que non, que
« vu la précarité de la situation de l'OGCN, il n'y avait qu'une seule recette
possible : jouer la carte humaine à fond ». Sur ce terrain, l'entente avec José
Cobos fut immédiate. C'est ensemble qu'ils ont élaboré la stratégie visant à
convaincre les autorités du sport français de laisser vivre Nice en D 1 malgré
la rétrogradation prononcée par la DNCG (Direction nationale du contrôle de
gestion) de la Ligue. « D'abord, se souvient Gernot, alors que certains joueurs
pointaient aux Assedic, nous avons repris l'entraînement le 2 juillet sans
savoir ce qui se passerait. J'avais un effectif de neuf joueurs. Un de mes amis
préparateur physique est venu bénévolement nous donner un coup de main, tout
s'est passé comme dans un club d'amateurs à ceci près qu'il y avait 4000
supporteurs pour cette première séance. Le tour de chauffe s'est transformé en
tour d'honneur, on s'est redonné le moral. Ce jour-là s'est créé un lien fort
entre nous et eux. Ensuite, les joueurs qui nous ont rejoints ont adopté cette
mentalité. Ils avaient tous envie que ça marche. »
Le Brésilien Everson, par exemple, savait qu'il utilisait là sa « dernière
chance de réussir quelque chose de bien en Europe après avoir sombré au fil des
années de galère, des erreurs de comportement et des mauvais choix de club ».
Pour lui, c'était comme pour l'OGCN, une question de survie sportive. « Si j e n
' avais pas percé là, je n'aurais eu qu'une seule option :
rentrer au pays et jouer pour un salaire médiocre... » Eric Roy, lui, n'avait
aucune revanche à prendre et un compte en banque garni pour quelques siècles
après ses passages à l'OM, en Angleterre (Sunderland) puis en Espagne (RayoVallecano).Au
crépuscule d'une carrière où seules manquent quelques sélections en équipe de
France, il voulait simplement « aider le club qui m'a formé et contribuer à
travers lui à donner une image un peu plus positive de Nice ».
Pourtant, au début de l'été, c'est avec des soupirs désabusés qu' Eric lisait
dans la presse « le feuilleton de l'été ». Les épisodes tragi-comiques mis en
scène par des demi-sel marseillais (1) ne l'ont pas fait rire. Lui pensait
plutôt aux drames qui se jouaient en coulisse. « C'était une aberration de
laisser le football pro mourir à Nice,mais des aberrations, il y en avait eu
tellement dans le club et autour du club... C'est presque réjouissant de voir
que tant de conneries peuvent être effacées d'un seul coup, au dernier moment,
par quelques hommes de bonne volonté. »
D'abord les joueurs qui décidèrent de sacrifier - au moins de geler (2) - leurs
primes de montée en Première Division pour inciter tout le monde à mettre la
main à la poche. « Et puis Lens », tient à ajouter Gernot Rohr. « Oui, Lens, qui
a été vraiment fair-play en nous achetant des joueurs pour un montant d'un
million d'euros au moment où tous les autres clubs attendaient que nous mourions
pour récupérer gratuitement nos meilleurs jeunes. »
Au lieu de cela, les mêmes clubs ont prêté à l'OGCN quelques-uns de leurs
joueurs en surplus en se disant qu'au moins leurs états d'âme de doublures ne
poseraient plus de problème. Calcul habile. Ces laissés-pour-compte ont retrouvé
à Nice leur dignité professionnelle et ont renoué avec la performance. « C' est
sûr, raille Roy, les grands clubs hésitent maintenant à nous prêter leurs gars
en trop qui, eux, ne rêvent que de nous rejoindre. » Nice est, en matière de
tremplin pour les faux has-been, ce qui se fait de mieux en Europe. Une
véritable machine à relancer les carrières. « Ce n'est pourtant pas en
anticipant ainsi sur leur avenir que j'ai convaincu les joueurs qui nous ont
rejoints »,tempère Gernot Rohr. « J'ai parlé de convivialité, d'hospitalité et
de défi. J'ai toujours traité en direct avec les joueurs avant de contacter
leurs représentants. "Pancho" Abardonado, par exemple, comme d'ailleurs l'autre
Marseillais, Damien GrégoriniJe les ai convaincus en trente secondes. Pancho,
quand je lui ai dit qu'on ne pouvait pas le payer autant que ce qu'il gagnait
l'année d'avant, il m'a répondu :" C'est pas grave, j'ai besoin d'avoir du
plaisir à jouer." Cette attitude, je l'ai retrouvée chez tous les autres. Un
mélange d'envie, de plaisir, de frustration et de revanche. »
Ce soir-la, contre Lille,
il y avait sur le terrain six joueurs sous contrat avec l'OGCN plus cinq pièces
rapportées qui devront faire leurs bagages en fin de saison. L'ensemble formant
un bloc solide de joueurs âgés de moins de 27 ans guidés par deux généreux
trentenaires, José Cobos et Eric Roy... Le premier, au début de réchauffement, a
rappelé les principes :« Solidarité, les gars, motivation, on a foi en nous. Ce
groupe mérite de gagner, mais, pour gagner, faut faire des efforts, pour soi,
pour les autres. Faut pas se regarder, chez nous, on doit s'imposer. » Le
second, lui, est revenu sur un échec pour appeler le succès : « Les rares fois
où on s'est cru arrivés, on a pris une gifle. Souvenez-vous de Bordeaux, on est
tombés sur une équipe qui en voulait plus. Souvenez-vous des cinq premières
minutes, le pressing tout terrain qu'ils nous ont fait. Je veux qu'on commence
ce match comme ça, à cent à l'heure,tout de suite. » Au coup d'envoi, Eric Roy a
souri, il a su que c'était gagné : Kaba Diawara était déjà parti comme une
flèche pour presser l'adversaire. «Il avait tellement envie qu'il a filé une
seconde trop tôt et que l'arbitre a dû remettre la balle au centre... »
Ce soir-là, Nice a fait le jeu et remporté la victoire, reprenant du même coup
la tête de la Ll. Dans le vestiaire, le président a doublé la prime de match, «
c'était le bon moment pour faire un geste », sourit Gernot. Demain ? Ils n'y
pensent pas. Eric Roy refuse l'euphorie en rigolant. « Qu'est-ce que je pourrais
dire ? Qu'on va essayer de se qualifier pour la Ligue des champions, affronter
le Real à Santiago Bernabeu ? Oui,j'en rêve,mais cela me semble tellement irréel
que ça ne sert à rien d'en parler. » Pourtant cette perspective apparaît de
moins en moins farfelue. « L'important, soupire Gernot Rohr, c'est de montrer
qu'avec de vraies valeurs on peut renverser des montagnes. On montre qu'il n'y a
pas que le fric, pas que l'individu. Regardez la Real Sociedad, regardez la
société en général : c'est un mouvement profond, un retour d'une certaine
dignité, et moi, ça me remplit d'espoir... »
( L) En Janvier 2002 Je club avait été repris dans des conditions obscures par
la quintette » marseillais Cano-Cassone-Mouret-Toroela-Traba. finalement écarté.
Rétrogradé en national ci juin. l'OGCN est réintégré en Ll le l1 juillet. (2)
Logiquement la direction actuelle de l'OGC Nice paiera cette dette en lin de
saison, mais, au moment où les joueurs ont pris leur décision, il n'avaient
aucune assurance de récupérer leur argent.